En chacun de nous, une nuit souveraine flamboie, ne serait-ce qu’une seule fois dans nos yeux, avant de sombrer à nouveau sous la lumière ordinaire des jours. Il nous est alors accordé d’entrer dans le penetraliade notre vie secrète, et de voir, et de goûter là, silencieusement, ce que la vue ni l’esprit ne peuvent appréhender du dehors.
Cette heure nocturne possède la force, calme et finale, d’une sentence. Que ceux qui ont aimé trop tard ou trop tôt se souviennent. L’amour n’a rien d’aimable quand, sans prévenir, il pénètre en nous sans feinte, comme un vent noir dégondant la porte d’une haute citadelle durement frappée par l’hiver.
Son sacre, fatal à certains, se paie pour d’autres d’un prix aussi vertigineux que l’est leur chute.
Une heure viendra peut-être où je regretterai amèrement qu’une telle fatalité me soit échue, mais j’en doute. Je sais ce que vaut ce doute et combien ces considérations, passé l’âge des illusions, sont risibles. J’ai déjà vu tomber Haller, un homme meilleur que moi, une intelligence supérieure, suprêmement douée, voler en éclats et devenir insane devant les reflets de son âme que lui renvoyaient trois femmes.
Si j’ai survécu en côtoyant le même précipice, je le dois à une nature moins raffinée que la sienne, à une imagination plus commune, mieux adaptée à ce réalisme de fait divers du quotidien où s’exorcisent jusqu’au dernier, ces envoûtements qui nous sont un supplice.