Elle avait la grâce d’un délinquant, d’un garçon des rues. Un coup de vent frais dans la vie de Karl Bazinger, qui se gardait de s’avouer qu’il n’était pas à l’aise dans son uniforme. Par moments, cette sensation était aiguë ; à d’autres, il la tenait à distance. Il le fallait.

C’est la nuit de la Saint-Sylvestre, l’année précédente, que Karl Bazinger avait aperçu Madeleine, chez les Nallet, boulevard Malesherbes. Elle était apparue sur le coup de minuit, accompagnée de sa mère, une femme jeune, couverte de quelque chose de noir. Les invités allaient et venaient entre trois salons et une véranda, bien chauffée pour la circonstance. La mère de Madeleine se mit à jouer au bridge dans la bibliothèque. Madeleine dansa un peu, sans entrain. Puis Karl Bazinger la vit debout, près de la cheminée éteinte. Quelques couples dansaient dans la pénombre.

Elle portait un fourreau beige qui la moulait, épaules nues, les cheveux montés en chignon, piqués d’un camélia. Des bougies sur le rebord de la cheminée l’éclairaient doucement. Son visage semblait fatigué. Cette fatigue soulignait son incroyable jeunesse. Une jeunesse qui se voyait à la pulpe gonflée de ses lèvres, au regard qui savait et qui ne se dépariait pas moins d’un secret enchantement.