Moi . . toujours avec moi . . on naît de . . partageons le même caractère . . ne faisons qu’un . … . ça commence toujours avec moi . . un . . … unique … … . singulier … . … … . seul … … … . . Moi
Pas moyen de savoir, ici, en bas, quand ils vont filer, en revanche, je sais très bien, le son me parvient jusqu’ici, en bas, c’est l’un des rares sons qui me parvienne ici, en bas, quand ils vont tirer. CRAANGK ! C’est parti, une fois, sur le côté : ils libèrent le chien arrière qui vient percuter le flanc du bateau dans un fracas retentissant, alors je sais qu’ils ont commencé à tirer… … Parfois, ça me réveille, parfois plus d’une fois pendant les seize heures par jour passées à dormir, ou allongé sur ma couchette, devrais-je dire, car le chien vient cogner l’arrière du bateau juste au-dessus de ma tête : le chien est juste au-dessus, au-dessus et à l’extérieur, bien sûr, juste à côté de ma tête : ce qui explique probablement pourquoi cette couchette était libre, pourquoi elle n’était pas utilisée, pourquoi personne ne voulait l’utiliser, pourquoi on me l’a laissée
… … Ainsi, toutes les deux heures ou presque, ou toutes les deux heures et demie, et à des intervalles plus longs parfois, selon l’intuition du capitaine, CRANNGK ! le chien vient me cogner la tête, pour ainsi dire, l’intérieur même de ma tête, même, pour ainsi dire ; et souvent je suis réveillé, si je dors, ou dérangé dans mes pensées, si pensée il y a, aussi souvent sans doute, tant il est rare que je dorme au cours de cette manoeuvre : même si la nuit dernière, j’ai pu dormir cinq heures d’affilée, ce qui prouve que j’ai réussi à dormir pendant toute la durée d’un trait, expérience plus qu’appréciable et bienvenue : quand je dors, aucun risque d’être malade, en tout cas, je ne suis pas malade, je suis anesthésié, les pilules prescrites ne me font aucun effet, n’ont aucun effet, sur moi, elle me rendent même un peu malade, à cause de leur goût, peut-être n’est-ce plus que par simple association désormais, même si, au début, je les prenais, parce qu’elles étaient censées faire effet, le médecin avait dit qu’elles feraient effet, le meilleur remède contre la naupathie, avait-il dit d’une voix pontifiante. Mal de mer, même nombre de syllabes, qu’avait-il à perdre ou à gagner à pontifier ainsi ? Je ne manquerai pas de le chapitrer sur l’incapacité de ses pilules quand je reviendrai, si je reviens un jour, oh, oh, à soulager ma condition, cette trop humaine condition… … … Lorsqu’ils tirent, le bateau tangue, et le mouvement s’accentue, c’est lors de tels instants que mon mal de mer est le plus aigu, lorsqu’ils tirent : la position horizontale est toutefois une alliée précieuse : je ne pourrais pas supporter d’être sur le pont, j’ai l’impression que mon estomac cherche à se retourner de lui-même, à se projeter vers le haut, pour s’éjecter à l’air libre hors de mon corps frissonnant. Parfois, je me demande ce qui l’en empêche, à quel moment précis le corps s’oblige à ignorer le mal de mer afin de garantir sa survie, afin de garantir la stabilité de l’estomac. … Il tangue et tangue encore, se balance de gauche à droite sans aucun motif, sujet aux caprices de la mer, et pourtant ce matin, force cinq seulement, mais oh, qu’est-ce qu’il tangue lorsqu’il est stoppé sans erre, lorsque l’on tire ! . . … Mais ça ne va pas durer, très vite, ils auront filé une nouvelle fois, ils n’aiment pas le voir hors de l’eau très longtemps, le chalut, inutile, improductif trop longtemps, quant à savoir le moment précis, impossible à dire, je ne sais pas, d’ici, en bas, quand ils vont filer, mais ça ne saurait tarder, ce n’est jamais assez tôt, peut-être alors pourrais-je retourner à mes pensées, ou dormir, je préférerais dormir, bien sûr, mais penser ne pourrait mieux tomber, c’est pour ça que je suis ici, filer les mailles étroites du chalut de mon esprit dans le vaste océan de mon passé.