La journée d’été s’épuise dans une langueur presque immobile, bleutée et pleine d’ennui. Bientôt viendra l’orage. Il a fait lourd toute l’après-midi, les corps ont gonflé ; partout, les gestes s’égarent, les têtes s’oublient. Le ciel est une nasse électrique prête à se décharger.
Quelque part une femme hurle « baisse le son on n’est pas sourd » en déposant une pile de vaisselle dans l’évier. Elle s’appelle Élisabeth Witz. La Marseillaisese répand dans le salon, la salle à manger, la cuisine. Il y a un match à la télévision.
Dès le réveil, les paupières à peine déprises de la nuit, son mari l’a annoncé : « Ce soir le match est décisif. » Hier aussi, il l’était, et après-demain il y en aura un autre qui le sera aussi, mais aujourd’hui c’est différent car tout se joue dans le match de ce soir, Éric Richard ne veut pas rater ça. Il a averti sa femme et ses trois filles : « Ce soir, c’est moi qui ai la télé. » D’habitude il ne prévient pas, mais cela ne l’empêche pas de l’avoir (sauf exceptions – rares, âprement négociées).
Éric Richard s’y connaît en télé, il sait ce qu’il faut regarder. Les femmes de son foyer ne cherchent pas à le contredire. Par lassitude, désintérêt, résignation – un peu tout cela à la fois – elles ne se battent pas. Elles savent : quoi qu’elles disent, l’homme est prioritaire pour la télé. Elles préfèrent faire autre chose, même si autre chose n’est rien. Parfois Éric propose à sa femme, à ses filles : « Tu peux regarder ça avec moi si tu veux. » Parfois, aussi, il impose : « Il faut absolument que tu viennes voir ça, c’est un chef d’œuvre. »
Éric Richard autorise, contraint ou empêche. C’est l’homme. C’est le père.
Affalé sur le cuir noir élimé, les pieds sur la table basse où s’entassent pêle-mêle quelques numéros de La Vie, le voilà déjà tout entier tendu vers l’écran.
Éric Richard aime les footballeurs. Non seulement « ils se font des couilles en or », mais en plus ils en sont fiers. Généralement, quand on a des couilles en or, on les palpe discrètement sous la table ou sur le compte secret d’un paradis fiscal. Qui d’autre que les footballeurs assument leurs couilles en or devant les caméras ? Hein, qui d’autre ?
Chaque fois qu’Éric Richard va quelque part, il se demande : Y-a-t-il, par ici, une paire de couilles en or ? À force de passer son temps à chercher comment s’en faire, il finit par en voir partout.