— Taisez-vous fantoches autoritaires, faiseurs de mots, dompteurs crétins, bateleurs impuissants à ramener la cacophonie en chaos véritable, les vers à la vie, contre ceux qui malgré tout s’échappent du corps, quadrillages sur les hanches, têtes d’épingle, furoncles emmanchés sous la peau et que vous lisez d’une langue inadaptée aux déroulés fleuves. Je ne veux pas que l’on me ferme les frontières de l’invisible, ni faire mien un réel dévasté et preuve, la richesse des galets au regard de la tristesse de vos tombes. Vert marbre contre minéral. Caporal-chef ès miel duveteux contre éboulis. Je vous tuerai tous. Un à un. Et morts, je vous tue sans relâche, et coupe vos gangues.
Silence. Taisez-vous.
Il y avait ce chat crevé dans la cour de l’immeuble mangé par les oiseaux, les vers. Je regardais. Les pigeons s’imposaient aux moineaux. Je me taisais. J’étais rentré du cimetière quelques heures plus tôt, libéré. Il y a encore maintenant sur les pans de ma veste cette grosse cendre faite d’os qu’une bourrasque avait retournée contre son fils, moi, le dernier. Les manches, je les frotte l’une contre l’autre et dans mes yeux qui regardent la mort et la décomposition, je pousse mes poings. Je ne sais pas de quoi je me nourris ni ce que je refuse, je ne sais pas si c’est mon nom ou le père que je mange ou cette cendre qui a capté le vent pour revenir vers moi. Je maudis le vent et le nom. J’aime ce chat crevé autant que mon père mais la mort du chat ne me libère de rien. Elle se colle à moi, me grignote, m’imposant un silence qui frappe lentement mes tempes et qui embrume mon cerveau ; ce silence qui charrie la preuve honteuse que je pense même si tout vient des yeux, de ma veste et qu’ainsi, de toutes ces poussières, je suis fils d’un père mort, orphelin, comme ce chat bouffé fils de —, père de —.
Il m’aura fallu attendre longtemps sur le seuil du nom afin de me soustraire d’une langue imprononçable. Ni la mienne, ni celle d’un autre, mais 13
une langue commune : décor défraîchi sur lequel je collais quelques lettres ou, au mieux, des mots qui me venaient de derrière la tête. Je tentais de raccommoder des fluides, matières molles, substances larvaires, exhortant le mou à plus de fermeté, dur à l’image de mon corps tendu, comme cette plaque posée à même le sol, tombeau d’une famille par la mère, là où tout demeurerait inconnu sinon ce qui se disait dans l’incongruité d’un geste habité par la pierre.
C’est aussi celle-ci que j’ai foulée au cimetière. Cette plaque entourée d’herbe. Sur celle-ci que j’ai mis un bouquet de coquelicots fanés piqué de la tombe d’un illustre poète.
Et je profane la langue. Je vole.
Et continue encore à l’affirmer en parcourant les allées ceintes d’aïeux qui, même raides, continuent d’expectorer.
— Taisez-vous. Vous : crachoirs, réceptacles de mot prudents, jolis-jolis. Vous, vidanges de ceux que vous preniez malin plaisir à policer. Il n’y a rien de beau au monde crasse. Ou votre bohême. Rien de beau en effet à l’armure que je porte, protection aux claques, et rien de beau non plus, à son clapet qui me ferme.
Regardez mes mains ! Elles passent et repassent sur vos verbes. J’effacerai tout. Tout de ton nom gavé d’éternité.