Derrière la gare sont garées les autos des soldats. Nous, on regarde les soldats qui partent le samedi matin et reviennent le dimanche soir et se parquent derrière la gare. Ils ouvrent les coffres des autos, ils sortent leurs sacs et leurs sacoches et leurs fusils. Les fusils ont pas de chargeur. On les regarde qui nouent leur cravatta et ferment les boutons de leur chemise. Ils mettent des vestes avec des décorations sur les épaules et des képis, ils discutent en passant devant la gare et disparaissent dans le virage de la route de la gare.
Le Gion Baretta attrape les deux lappis par les oreilles pour les sortir du carton. Il lâche les lappis dans le jardin. Eh ben vualà, il dit. Les lappis sautent dans tous les coins du jardin. On leur saute après. Le Gion Baretta dit à notre Fatre qu’il faut attendre quelques semaines epi c’est bon vous pourrez les laisser couvrir. Ils trinquent. C’est le Fatre qu’a fait la cage. Nous, on a mis la paille. Les lappis vont dans la cage. On fera une plus grande cage après pour que les lappis ils aient de la place quand ils auront des pitis. Et si vous vous occupez pas d’eux comme il faut et que vous changez pas la cage régulièrement, on les zigouille. Et hop, à la casserole, capito. On fait oui avec la tête. Le Fatre dit mersi toi hein au Gion Baretta, ouais y a pas de quoi. Le Gion Baretta passe par-dessus la barrière, monte dans sa subaru, lève la main et zou.
Le Giacasepp vit au-dessous de chez nous. Il a un magasin et une moustache. Il vend des vis. Il vend des clous et des tronçonneuses. Il vend des marteaux, des tourne-les-vis, des pinces, des haches, des bonbonnes pour le gaz, des mètres, des perceuses et des perceurs. Il vend aussi des caissaoutis, des mars et des glaces. Et si on commande, on peut aussi acheter des vélos chez le Giacasepp. Mais ça met long avant que les vélos arrivent et après il faut encore les construire. Et le Giacasepp dit qu’il va faire après, que là il a pas le temps. L’a jamais le temps. Il doit porter des vis à la cave et il doit faire des clés. Dans le magasin il a une tour, il peut s’asseoir devant sur un tabouret et faire des clés. Il met des lunettes pour ça. Pendant que le Giacasepp fraise ses clés, on se promène dans le magasin et on s’accroche des hameçons dans les pulls, comme des médailles. Vers la porte de derrière, il y a des boataclous. Dans ces boataclous, il y a des clous longs comme des crayons. Les clous ont des têtes plates, et les têtes sont larges. On en fourre dans les poches de nos pantalons.