Des « je me souviens du fils », au début du texte, qui évoquent une possible nostalgie d’enfance, le tour de France, des chansons et des saisons, au « j’me souviens » de la mère, en fin de livre, réduit à sa plus simple forme par la perte et la maladie, le récit ne nous livre pas seulement un texte d’enfance.
C’est toute une vie qui se déroule dans ces réminiscences ponctuées de voix en général pas tendres, les voix des adultes, brèves, brutales, mots écorchés. Le personnage de la mère, sublime et abjecte, celle, pourtant sans écoles, qui transmet le goût des livres, qui juge Zola et Steinbeck, est l’un des plus attachants de ces êtres qu’on croise, qui lâchent une phrase ou deux et disparaissent. Le souvenir prend la forme d’évocation, celle des rares joies d’évasions, des désirs d’ailleurs, de l’impossible poésie de Saint-Étienne, de la vie qu’on y vivait entre hivers et beaux jours, usine et landes.
A travers ce récit poétique, fragmenté et fragmentaire est posée la question de ce qu’on se transmet. L’engendrement, ce n’est pas seulement l’acte qui donne la vie, mais c’est tout le processus qui suit et qui donne autant de mort que de vie. Ce qu’on se transmet, ce qui engendre, ce sont des voix, des morts, des liens étranges. Et c’est un très beau texte, grave et tendre, à mille lieues de la mièvrerie des enfances heureuses et des pays faciles.
Anne-Marie Mercier-Faivre
sitartmag.com, mars 2007