Il y a des petites histoires qui n’en sont pas. Des rencontres qu’on imagine banales avant de les avoir écoutées. Mènis Koumandarèas nous emmène dans l’Athènes des années 70. C’est la fin de l’hiver. Les températures remontent. Voici venir la promesse de journées radieuses. Les corps vont pouvoir à nouveau respirer.
Koùla et Mìmis se rencontrent à quelques mètres sous terre. Ils prennent le métro, se croisent, engagent la conversation. Elle est une femme mariée, mère de deux enfants, elle travaille dans un centre des impôts. Quel est son âge ? Mystère. Lui a vingt-et-un ans, il étudie l’électronique. On pourrait penser d’emblée à André-Pieyre de Mandiargues. La suite va nous donner tort.
Elle semble avoir davantage besoin de parler que lui. La différence d’âge sans doute. La différence de vie, assurément. Les attentes aussi sont différentes. Car il y en a chez Koùla qui dit tout de façon indirecte, à force de faire l’inventaire de sa banale existence avec son mari et ses filles :
« C’était un homme capable, honnête dans la mesure où son métier le lui permettait. Un commerçant. Ils ne s’étaient pas mariés par amour, c’était clair pour les deux. Elle le soupçonnait d’aller parfois voir ailleurs. Ils vivaient en bonne entente. Ses filles - en dehors des problèmes qu’ont tous les enfants - n’avaient jamais présenté quoi que ce soit d’original. C’étaient des enfants normaux. Aucun accroc, aucun orage tout au long de ces années tranquilles. Les mêmes comportements, presque les mêmes caractères. »
Mìmis a un père de droite. Koùla a un mari de droite. On croit comprendre ce que Mènis Koumandarèas veut nous signifier par-là. Que l’avenir est déjà figé, écrit. Pas étonnant que Koùla et Mìmis aient des envies d’autre chose.
Leur voix semble peu porter dans le brouhaha du monde. Ils sont difficilement audibles parce qu’on ne prête pas attention à eux. On devrait. Ils s’écoutent, ils s’attirent. Malgré tout :
Est-ce une vraie histoire ? On peut s’interroger quand on lit que Mìmis a déjà eu des relations tarifées avec des femmes plus âgées. Est-ce là son moteur ? Pas sûr quand on entend l’étudiant pester contre les membres de sa famille :
Un jour, plus de Mìmis. La réalité revient en pleine figure. Il faut faire comme avant. Comme si rien n’avait existé. Mais Koùla peut-elle faire justement comme si rien n’avait eu lieu ? Elle a beau cacher, dissimuler ses sentiments : on n’est pas forcé de la croire.
La Femme du métro est un texte qui peut se lire de plusieurs façons. Il donne à réfléchir au temps qui passe, aux mensonges que l’on se raconte, à la féminité, à l’incommunicabilité. Mais il n’y a pas que cela.
On ressort de ce texte bercé par une musicalité envoûtante. Difficile de savoir où commence cette « relation », où elle s’achève. Y a-t-il d’ailleurs un début et une fin ? Tout passe furtivement. Pourtant, et ce n’est pas le moins des paradoxes, tout s’installe. À moins que cela ne soit qu’un mirage.
Michel Volkovitch - dont il faut saluer la très sensible traduction - le dit bien mieux :
« Le tempo de ce récit est à lui seul un mystère : comment se fait-il que tout aille très vite, et en même temps au ralenti ? L’histoire file comme un rêve, mais elle piétine dans un cauchemar, au gré de ces retours incessants aux mêmes lieux, de soir en soir : le métro surtout, troisième personnage du livre, mais aussi la petite chambre, la taverne - trois lieux souterrains… En même temps, si l’ensemble est court, bien des scènes s’installent dans une lenteur fascinante. »
On a envie d’en connaître davantage sur cet auteur. On a envie de lire du Volkovitch. D’entrer dans cet amour de la littérature grecque qu’il manifeste depuis des années déjà.
_Vous ai-je dit que la poétesse Kiki Dimoula qui a reçu, en mars dernier à Strasbourg, le prix européen de littérature 2010, a été traduite par Michel Volkovitch ?
Que cet homme qui a été mon professeur d’anglais en Terminale soit lui aussi récompensé me réjouit. Cet homme-là sert du mieux possible, sans jamais chercher à en tirer profit, une littérature qui lui est chère, qui le touche.
Grâce à lui, grâce à Mènis Koumandarèas, je sais que la Grèce, malgré des finances dans un triste état, recelle de joyaux dont ce texte fait assurément partie.
En m’imprégnant de La Femme du métro, j’ai presque oublié que l’été était revenu. Il y a peut-être en dessous de nous des Koùla et Mìmis qui ne l’ont pas remarqué.