Nanthilde avance rapidement, avec des mouvements de tête résolus. Elle grimpe de pierre en pierre, le long du chemin escarpé. Agile et légère, elle ressemble à un cabri. Ses boucles sombres bondissent en cadence. Elle songe à sa sœur Vénérande dont le corps gracieux épouse à merveille les courbes de son prénom. Elle songe à son frère Marovée mais son pied bute contre un caillou retors, elle perd l’équilibre et se ressaisit de justesse. Son frère, elle ne peut pas penser à lui : aussitôt il y a ce poids qui écrase sa poitrine et arrête ses gestes. Il faut avancer, au rythme des petites notes noires qui cognent dans sa poitrine. En haut, son regard invente un parvis par-dessus l’horizon des toits. Elle scrute cet amas houleux de crêtes grises. Elle secoue ses cheveux indisciplinés, moins sombres sur le plateau désert. Elle est pleine de la voix de son frère, des rires de sa sœur, du pas métronomique de leur mère. Comment, sinon en bougeant, se sevrer des habitudes d’enfance ? Cette suie qui colle à ses membres. Que les larmes de sa mère ne rincent pas. Les cris de son frère, il faut que ça s’arrête. Les cris de son frère, la voix de son maître, abattez ces arbres devant, qu’on y voie plus clair. Tout se mélange dans sa tête, il faudrait grimper encore, mais elle était en haut et tout s’arasait. Trouver un moyen. Sous la masse lente des nuages, elle amorce la descente, découvre bientôt, dans les taillis, une hutte forestière, est tentée de s’y retirer mais impossible, il faut avancer, il faut y aller.
Vénérande était allongée sur son lit. Elle accueillait chaque nouvelle journée comme une avancée polychrome. Elle aimait paresser longuement sous les draps, mais cette fois, elle se leva d’un bond. Elle venait d’apercevoir, sur son bureau, l’eau du verre qui se troublait au contact du pinceau. Il fallait que, de toute urgence, elle fasse disparaître les reliques du festin nocturne. Les feuilles bariolées reposaient sous elle, empilées sous le matelas, la palette lavée aussi. Le pinceau oublié seul se dressait, avertissement vertical. Elle s’était trop fatiguée à vouloir saisir cette couleur de poivron jaune. Les mélanges essayés ne l’avaient pas satisfaite avant la nuit. Mais elle avait fini par trouver avait dormi dans des couloirs pigmentés, caressée par des chatoiements colorés. Elle présidait en rêve à un nouveau paganisme et s’était éveillée sourire aux lèvres. A présent, elle opérait comme un voleur avec le fruit de son larcin. Son corps, dans sa courte nuisette, était tendre, mais les tendons de son cou devenaient visibles. Voleuse, voleuse, voleuse, articulait-elle à haute voix, psalmodie ou mantra, elle ne savait pas elle-même. Voleuse, elle l’était. De temps, d’impressions, et une grande partie de son matériel aussi, avait été subtilisé.