Rome, regards

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Rolf Dieter Brinkmann

Rome, regards

Un livre-événement, un de ces objets improbables dans une vie de lecteur
[…] un livre total, tragique […] un livre culte.

Marianne Alphant Les Mardis littéraires, France Culture, 4/11/08.

Octobre 1972 – janvier 1973 : Rolf Dieter Brinkmann (1940-1975) séjourne à Rome, à la Villa Massimo, pendant allemand de la Villa Médicis. Il en revient avec trois cahiers dans lesquels il a engrangé ses impressions, sa correspondance amicale ou pas, les lettres envoyées à Maleen, sa compagne. Il y consigne son voyage, la découverte de cet endroit destiné à la «création artistique», ses démêlés avec les occupants, ses rencontres avec les autochtones, ses lectures, les difficultés matérielles constantes, ses interrogations multiples. Il prend des photos, réalise des collages, déambule dans Rome, cette ville de vestiges qui impose son passé alors qu’en lui vocifèrent colère et désolation.
Avec une impétuosité généreuse et hirsute de rebelle misanthrope, Brinkmann livre dans Rome, regards sa pensée au travail et son combat avec les mots pour faire exploser la langue de l’intérieur. Chronique des jours à Rome et chez les hommes, ces regards collages arrivent enfin jusqu’à nous.
«Sans doute le seul génie de la littérature ouest-allemande d’après-guerre.» Heiner Müller

Rome, regards entre dans une catégorie trop rare, celle des livres qui époustouflent non parce qu’ils sont excellents mais juste parce qu’ils époustouflent.

Fausto Maijstral Tabula rasa

Un style inimitable, incroyablement baroque, d’une liberté capable de rompre toutes les amarres. […] Un événement littéraire. »*

Marc Villemain L’Anagnoste
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Rolf Dieter Brinkmann Rolf Dieter Brinkmann

Rolf Dieter Brinkmann

Né à Vechta en 1940, Rolf Dieter Brinkmann quitte le lycée en 1958, entreprend une formation d’employé administratif auprès du ministère des Finances d’Oldenburg, qu’il arrête au bo...

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Quelle densité ce Brinkmann, et quel rythme infernal ! Son hypersensibilité à tout, au moindre signe (en cela proche effectivement de Schmidt). Et cette mélancolie, et cet influx nerveux de la vie qui parcourt l’encre comme une électricité. Rien à voir avec personne, même avec Burroughs, malgré les cut up et le tempo du diable. C’est donc une forte découverte.

Louis Watt-Owen La Main de singe, septembre 2008

La volonté de percevoir le monde, sans concession à l’époque, tel est l’enjeu de l’extraordinaire objet littéraire inventé par Brinkmann.

La pensée d’un écrivain au travail dans une ville qu’il découvre et décrit sans relâche.

Jacques Josse remue.net

C’est un livre étrange, un très curieux objet. Brinkmann — écrivain, poète et traducteur — a une façon de tout noter de manière compulsive, obsessionnelle, magmatique.

Arnaud Laporte Tout arrive, France Culture, 24/10/2008

C’est un témoignage d’époque, un objet littéraire, et aussi un document plaisant (…) une constance à travers le livre : le rejet de l’artifice, le côté fastidieux qu’on lui prête est parfaitement contestable (…) c’est une résurrection d’une partie de la littérature allemande oubliée., critique littéraire à

Daniel Martin Tout arrive, France Culture, 24/10/2008

Paru à titre posthume en 1979, Rome, regards de Rolf Dieter Brinkmann (1940-1975) nous arrive chez Quidam, sous sa forme originelle, on ne peut plus «soixantediziste». Enorme travail de traduction et d’adaptation graphique, restituant les collages, photocopies et carbones de ce temps où l’on usait — tout avant-gardiste qu’on soit — d’une machine à écrire mécanique, de papiers pelures et de cahiers à carreaux. C’est l’époque de Fassbinder, de la RAF et de l’underground.
Il y a trente ans, donc, un jeune Allemand en colère fixe sur trois cahiers, jour par jour, voire minute par minute, son voyage vers Rome puis sa résidence à la villa Massimo (la villa Médicis allemande) d’octobre 1972 à janvier 1973. Il est las de ce monde ancien : «J’aimerais plus de présent.» Pour cela, il s’empare de tout , regarde, découpe, colle — porté par le flux d’un monologue intérieur constamment inspiré. Malgré ses hachures, le texte se poursuit en continu. Le journal personnel, infatigable, emprunte sans rupture toutes les formes : lettres à sa compagne, à ses amis, à ses ennemis, factures griffonnées, photos juxtaposées.
Brinkmann s’est fixé comme projet de livrer «des fragments d’impressions en vrac», qui vont de l’histoire personnelle jusqu’à la réflexion sur l’art, la politique, la culture. Mais sous le vrac, on retrouve la tension permanente d’un Thomas Bernhard. Voulant se purger de la guerre et de la Grande Kultur, le trentenaire rêve que l’allemand devienne une langue morte. Il signe pourtant une œuvre majeure qui redonne vie à l’allemand et au meilleur d’une tradition qui est aussi celle de Gottfried Benn, Hans Henny Jahnn ou Arno Schmidt. Il meurt renversé par une voiture à Londres. Thibaut de Ruyter le note dans sa remarquable préface : «Celui qui regarde tout autour de lui n’a pas pensé que les automobiles roulent à gauche sur cette île où trop de choses vont à l’envers.»

Jean-Maurice de Montremy Livres-Hebdo, 10 octobre 2008

Paru en 1979, soit quatre années après la mort du jeune auteur (né en 1940), Rome, regard peut se définir au hasard comme un carnet de voyage enragé ou comme un truc littéraire éblouissant. Mélange de lettres adressées à sa femme ou à ses amis, de pensées fulgurantes et dévastatrices saisies au vol, de collages photographiques composés, c’est selon, de clichés touristiques et de femmes nues, ce texte est né dans l’esprit passablement secoué d’un écrivain qui rêvait de dynamiter la littérature allemande. En résidence d’écrivains à la Villa Massimo à Rome (principalement pour raisons financières), Brinkmann ressasse à l’envi son désir de ne pas être précisément là où il se trouve. D’octobre 1973 à janvier 1974, il va noircir des centaines de feuillets. Rien ne lui convient de l’Italie et il existe apparemment mille façons de le dire de la même manière… Du Bellay des temps modernes mâtiné de Thomas Bernhard, Brinkmann écrit là ses Regrets dans une prose dense, malmenée et profondément émouvante.

François Reynaud (librairie Lucioles, Vienne) Page des libraires, oct.-nov. 2008

Une frénésie d’écriture
Poète d’avant-garde (situons-le approximativement entre « beat » et « pop », Rolf Dieter Brinkmann meurt bêtement d’un accident en 1975, à 35 ans. Lors d’un séjour à la Villa Massimo à Rome, et à la Casa Bali à Olevano (équivalents allemands de la Villa Médicis), se tournant vers la prose — il avait déjà publié un roman et des nouvelles —, il avait entrepris de tout enregistrer de ce qu’il voyait, ce qui donne cet énorme et passionnant journal, souvent pléthorique : notations et descriptions, lettres à sa compagne restée en Allemagne ou à des amis, suites de cartes postales avec textes maunuscrits au dos, photos personnelles, cartes routières et itinéraires, dont un éditeur a le courage de publier une visiblement excellente traduction française qui devrait retenir l’attention.

Pierre Pachet La Quinzaine littéraire n° 979, 1/11/08

Un écrivain prodigieux

La littérature allemande vient de révéler un écrivain prodigieux venu de Basse-Saxe. Voici traduit un livre au titre ample : Rome, regards. Rolf Dieter Brinkmann a été révélé une fois en français, il y a longtemps (La lumière assombrit les feuilles, 1971), et après cela personne n’a entendu parler de lui. Son effacement est simple : Brinkmann a choisi de briser le roman traditionnel, de ne plus s’en tenir à une représentation réaliste et paisible du monde. Il a décidé de projeter ses images et une poésie directe dans un ouvrage indéfinissable, un livre-album qui fait appel à tous les motifs (lettres, photos, factures, billets de train…) et qui donne lieu à un récit cinglant. Depuis l’œuvre d’Arno Schmidt (dont l’influence restera majeure sur l’écrivain) et hormis Christa Wolf, la prose allemande s’était un peu endormie. Rome, regards arrive au bon moment pour contredire cette monotonie.
Le livre (Rom, Blicke) paraît aux éditions Rowohlt en 1979, l’année même où meurt Schmidt. Il n’y a pas de hasard. On peut même y voir un passage de témoin. Prenant à contre-courant la mythologie habituelle de Rome, ville dans laquelle il réside pendant quelques temps (1972-1973, à la Villa Massimo), Brinkmann compose pendant trois mois une machine de guerre qui se présente comme un cri. Il commence par attaquer les artistes de troisième rang qui se trouvent à ses côtés. Un tel cénacle vaniteux le dégoûte profondément et il ne se sent appartenir à aucune communauté, avouable ou non. Il désacralise la fontaine de Trevi, ne cache pas son horreur des ruines, de l’héritage culturel, des amphithéâtres délabrés, plus tard du paysage autrichien. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des affinités. Sur le mode du collage inspiré par la Beat Generation, son écriture multiplie les points de vue sur Rome. Le livre devient un impressionnant travail de topographie, comparable à la mobilité des situationnistes dans l’Europe des années cinquante. Par son approche brutale et concrète du monde, on reconnaît l’influence de Louis-Ferdinand Céline. Brinkmann est un lecteur subtil (Godfried Benn, Hanns Henny Jahnn…) ; sa méthode consiste à faire chanter la langue allemande. Ecrivain phobique qui ne supporte pas la foule, acculé par le manque d’argent, il se consacre entièrement à la recherche formelle et à l’amplification du rythme. Comment dire l’émotion, comment peindre un tableau saisissant de la vie ? On mentionnera encore le rôle crucial de la peinture, particulièrement l’expressionisme d’Otto Dix.
Mais le plus important n’est pas là. S’il ne restait à la fin que le négatif ou la détestation universelle, le lecteur arrêterait net. Non, ce qui est irremplaçable, c’est la manière constante dont Brinkmann fait preuve pour tout dire, tout noter, tout radiographier. Cet homme est littéralement obsédé par le présent, par son feuilletage. Le présent apparaît comme un moment infini qu’il est impossible de délaisser. D’où de rares moments de paix, des instants de révélation. Il tape sans cesse à la machine à écrire, pense à son fils atteint d’une lésion cérébrale, ne baisse pas la garde. Dans une des nombreuses lettres adressées à sa compagne Maleen, il note : « Je danse sur un mince fil d’idées au-dessus de la merde qui s’agite en-dessous. Danses-tu, toi aussi ? Allez, viens : danse avec moi sur cette mince corde d’une idée qui va se rompre foutrement vite, mais ce sera alors ton idée, et la danse est belle, les sens bien éveillés et bien conscients. » Au milieu de la bataille, le funambule Brinkmann est renversé par une voiture à Londres en avril 1975. Il avait 35 ans.

Jean-Philippe Rossignol La Revue des deux mondes, janvier 2009

Une formidable publication, un sublime objet éditorial qui restitue impeccablement un moment littéraire qu’en France on ignore et que, dans sa préface, Thibault de Ruyter esquisse, celui de l’underground ouest-allemand forcément perdu d’après-guerre du début des années 1970.
Brinkmann , le Colonais, lecteur de Benn, Schmidt et de Jahnn surtout, auteur d’une anthologie de littérature beat Acid, d’un roman à scandale rapidement traduit alors aux éditions Gallimard La lumière assombrit les feuilles, cinéaste aussi, se retrouve en résidence à Rome à la Villa Massimo puis à la Casa Baldi.
Il y tient durant quatre mois un journal intense, non-idyllique, publié après sa mort (stupide accident de la circulation à la Warhol en 1975 à Londres).
Comme il se doit — à rapprocher par-là du Journal romain de Renaud Camus, tenu une décennie plus tard, à la Villa Médicis — , Rome, ses instances et profiteurs culturels s’avèrent des plus lamentables, d’autant que Brinkmann est parfaitement insensible à la suffocante beauté des lieux.
D’extraordinaires évocations nocturnes tournent autour de lui, choses vues, mal comprises (il se refuse à apprendre l’italien), élucubrations, retrait, silhouettes, restaurants crasseux, misérabilisme (il économise sur sa solde afin de subvenir aux besoins de sa petite famille restée en Allemagne), dépolitisation : est-ce à cela que concourent les prestigieuses résidences étatiques ? Au pied de la lettre, oui, insiste Brinkmann dans chacune de ses infinies missives adressées à son épouse, ses proches. Mais une jubilation sinistre et rock’n’roll lui donne accès aux gestes, aux regards, aux images. Il les entrecoupe de cartes postales, de plans, de tickets de bus de la Rome antique, baroque, cheap et porno (même si c’est surtout dans Schnitte que son art du collage pop et du texte déchiqueté devient grandiose).
Une écriture matérialiste débraillée ouverte et désemparée ou vive qui charme le lecteur, non seulement par son côté ex-RFA / para-Bande à Baader mais de loin / prébendes d’Etat et mort violente, mais surtout parce que les formes d’une vie y sont assignées avec précision.

Jérôme Mauche Cahier critique de poésie 18, octobre 2009