Il avait tellement d’imagination qu’il n’avait pas besoin de l’avoir pour avoir peur de la perdre.
Il relit sa phrase. C’est une belle phrase. Elle dit bien ce qu’il ressent, là. Il va la poster sur Facebook et comme ça elle va la voir, elle va comprendre. Ce sera comme un cri murmuré, ce phénomène acoustique qui permet à deux personnes éloignées de s’entendre à l’insu de la foule qui les entoure, d’un pilastre à l’autre du Pavaglione, dans La Tenda rouge de Bologne de John Berger. Et peut-être dans la réalité. Il va la poster sur Facebook et les autres, ses contacts, ses « amis », croiront juste qu’il écrit un nouveau roman. Après tout, peut-être qu’ils ne se tromperont pas ; peut-être qu’il écrit un nouveau roman. Oui : peut-être bien après tout qu’il est en train d’écrire un nouveau roman.
Car s’il se regardait, Herbert, que verrait-il en réalité ? Il se verrait assis, assis devant son ordinateur, en train d’écrire. Ce serait comme d’habitude, à voir de l’extérieur. Ce serait comme si rien n’avait changé. Alors oui, peut-être tout simplement qu’il est en train d’écrire un nouveau roman. Un roman différent, pour une fois. Un roman d’amour, même. Un vrai roman d’amour, allez, un vrai roman d’amour impossible. Ou peut-être que…
Il pleure un peu pourtant. Mais une voix en lui, sa voix de lui au-dessus de lui plutôt, sa voix de lui comme s’il se regardait depuis le plafond, lui dit que ça ne veut rien dire. Il peut pleurer, il peut bien pleurer, ça ne veut rien dire.
Et pourtant, s’il s’interroge, lui Herbert assis sur sa chaise de bureau en train d’écrire à l’ordinateur, il doit bien reconnaître qu’il est triste.
Mais si c’est un roman, si c’est une histoire qu’il est en train de se raconter, qu’il est en train de lui raconter, alors il vaudrait mieux qu’il commence à la raconter.