La cimenterie pointe son nez, giclée de néons dans l’obscur. Des phares et marlboro marchent les gars qui sortent d’un peu partout, convergent vers l’usine, marlboro, marlboro, marchent, le frimas de rigueur enfouissant aussi leurs mains au fond de poches de chaleur, marchent, marchent, marlboro. L’odeur du tabac se fond dans l’âpre rappel de la poussière à venir, qui colle déjà, marlboro marche. Le portail. Passé, la pointeuse et le contremaître en comité, accueillent glacé.
Les néons se succèdent, tracent des lignes. Des couloirs, des entrées, des portes, des couloirs et des compartiments se dispersent, répartis par-ci, par-là. Par là, la machine à café, désertée, les gars ont leur cafetière. Par ici, les placards, des casiers, par là, les bureaux, et, par là, des casiers.
Au bout, en bleu, le travail. Il enfile son bleu, assure. Bâille un coup, décrispe le cou coincé. Puis le père serre silencieusement des mains, des mains qui comme les siennes, grosses et raides, râpent, minérales. Les gars savent qu’ils parleront plutôt plus tard. Ils clopent et crachent, cachent clopin à leurs copains clopant leurs éclopages, patte traînée en douce, il ne faut plus paraître faible, les épées suspendues tomberaient à la prochaine restructuration, trop vieux, inutile, nous vous remercions pour toutes ces années sacrifiées à l’Entreprise, dégage maintenant !
Alors on fait avec, on fait le fier, et, à bras-le-corps, on prend son courage avec ses deux mains calleuses, on fait corps avec lui et on prend le dessus sur les tonnes de douleurs qui ankylosent, c’est parti, bleu au corps et clope au bec.
Il part s’user un peu plus — un peu plus ou un peu moins —, chaque jour un peu plus usé, chaque jour, il est un peu moins. Chaque seconde l’emporte un peu plus, un peu plus loin, un peu plus en moins. Mais sans ça, il n’aurait plus rien, le travail lui vole la vie que lui donne cetravail à qui il donne sa vie. S’arrêter le tuerait, croit-il.
Alors, il bosse. Sa vie est là, au boulot, à bosser. Il se lève chaque jour, s’arrache, prend sa gamelle et part, la nuit, jusqu’au soir faire ce qu’il a à faire, pour nous. Mais il n’y a plus personne aujourd’hui. Il ne reste que lui, et moi. Il part pour nous. Il partait car il le fallait, il ne le faut plus, mais il part quand même car il n’y a que ça qui le tient. Quand maman est partie, il a continué à partir, la nuit, par habitude, parce qu’il ne savait rien faire d’autre que partir, la nuit, aller bosser dans le bruit pour ne rien entendre et ne plus penser. Il partait broyer, être utile, subvenir à, mener une vie de travail, de somme.