28 janvier 1837
Tu gémis. Je t’entends de l’autre côté de la cloison quand enfin tes amis te quittent et laissent la chambre où tu gis. Tu soupires, tu pleures et tu tousses. Catherine murmure, marche doucement près de toi, tente de soulager ton corps. Dehors, la neige ensilence le jardin et je soupçonne le fleuve d’être immobile. Comme souvent, la fin du jour tourmente ma poitrine. Il y a quelque temps encore, à cette heure même, je ne savais à quelle tâche me mettre, j’errais dans la maison, allant d’un enfant à l’autre, de la cheminée du salon à celle de ma chambre, de mon miroir à la fenêtre, ne me sentant ni mère, ni femme, encore moins maîtresse d’une maison envahie de domestiques ; j’errais, et cela sans cesse jusqu’à ce que je me résigne dans l’obscurité. Maintenant, je vois la lumière haute, mais pour peu de temps. Je sais le soir qui vient, un soir ultime. Je me suis assise à ton bureau le plus naturellement du monde.
Tu es là tout près. Je ne te vois pas. J’entends ton corps frissonner ; tu trembles et je suppose que chaque seconde est un enfer. Pourtant, ta peau et tes viscères ont tant cherché le plaisir, la jouissance, que j’arrive à peine à t’imaginer souffrant, comme si ce trou à ton ventre était encore une volupté imaginée par toi, une expérience de plus pour atteindre ce que tu crois être le bonheur. Il te faut maintenant t’abandonner. C’est cela la grande leçon : te laisser aller à écouter chaque parcelle de ta peau et de tes entrailles au lieu de courir de bordels en réunions mondaines. L’impatience à jouir t’entraînait de plus en plus, sans savoir vers qui, vers quoi. Mais jouissais-tu vraiment ?
Tu fus avide d’insatisfaction et tu te moquais de mon ignorance. C’est toi qui ne savais rien. Que sait-on du sexe si l’on n’a pas appris amoureusement ? Que sais-tu de la joie des sensations immenses que donnent la bouche et les mains d’un être aimé ? Que sais-tu de la vénération pour le corps d’une personne que l’on aime si fort que l’estime et le désir se confondent violemment ?
Tu ne savais pas que c’était mon désir qui t’aurait apporté la joie. Tu ne t’es pas soucié de moi ou, du moins, tu t’es occupé de moi comme un homme s’occupe de ses biens : il faut en jouir et les conserver près de soi. N’as-tu jamais tenté de regarder en moi ? Tu ne te privais pas d’observer mon corps, ma peau, mon sexe dès que nous étions seuls et que tu agrippais mes robes et les jetais à terre. Tu n’as alors rien vu d’autre que ton plaisir immédiat, éphémère. Il aurait été possible de me deviner, d’accéder à ma jouissance. Tes sensations, j’aurais pu les partager. Tu ne fus pas assez humble, pas assez subversif, n’en déplaise à ta rébellion politique.