T’es seul dans le bain. T’as sept ans, la peau sèche, presque pas de bite entre les jambes, tu flottes dans ton bain sans lunettes. Le monde est une tache qui bouge. Le carrelage qui t’entoure est une galaxie d’une profondeur infinie.
Tu écoutes les petits gloussements de cachalot que fait ta peau quand elle frotte la baignoire. Tu traces sous l’eau des lignes avec l’index sur l’émail qui dégagent parfois des douches de bulles microscopiques qui se précipitent vers la surface, et dont tu entends seulement le frémissement. Le bruit lointain du couvercle que ta mère pose sur une casserole. L’eau plate sous les tétons. Tu sais que tu ne sais pas profiter de ce répit.
Dans le flou, tu distingues la tache immobile qui correspond à la poignée de la porte, un trait gris à peu près à la hauteur de ta tête quand t’es debout. On t’a oublié, avec deux trois bateaux en plastique qui te tournent autour, te tapent les coudes, et dont tu sais jamais quoi faire. Ta solitude. C’est là que tu veux être, oublié. Epargné. Tu regardes la poignée, tu attends ta mère, ses bras. Tu veux qu’elle revienne dans la salle de bain, qu’elle fasse encore rougir ta peau en t’essuyant comme une casserole. Un temps inutile. Seul dans le bain. Un plaisir flou. T’es contrarié. Quelque chose te manque. Tu espères le retour de ta mère qui transforme tout en gâchis.
Elle t’attrape par les aisselles et déchire la surface de l’eau en te hissant. Le fracas des gouttes. Elle te remet tes lunettes. Tout s’éclaire. La salle de bain n’est pas une galaxie. Les carreaux forment un grillage sans profondeur. La lumière a changé, la peau de ta mère sous l’ampoule blanche, un corps de craie. Tu découvres à nouveau le malaise de ses bras. Elle te coupe les ongles, elle parle à peine, mal installé, à moitié assis sur elle, provisoirement nu, tu regrettes ta solitude. Elle coupe trop vite. Elle te tient comme si t’allais t’échapper.
La présence lointaine de ton père accélère tout. Tu vas devoir passer devant lui en pyjama. Elle va devoir te regarder passer devant lui en pyjama. Elle te touche mal, tes orteils dans ses mains brusques, son menton qui s’enfonce dans ton épaule. Tu sais qu’elle est triste d’avoir fait un enfant qui ressemble à un tronc de brocolis.