« L’alcool se liquéfie en passant par les intestins du serpent », lança Wilfrid, fébrile, agité en tous sens à la vue de l’alambic posé au centre de la place de la mairie, face au Goulet-Turpin. Le distillateur versa le marc de raisin dans sa bouilloire. Son écharpe tricolore en écu (il sortait du conseil municipal), les mains sur les genoux, mon grand-père écoutait le grésillement tuyauté de la liqueur. « Visite les entrailles de la Terre, cadet ! Ce qui passe ici se passe en toi, de la même manière. Tout au plus sommes-nous machinés comme des tuyaux d’orgue, des souffleries, des cucurbites échauffés à la moindre émotion, un clapet cliquette : c’est la parole ! »
Portrait de Wilfrid, grand-père, en imprécateur colérique, pêcheur ivre, poilu astronome, spirite macabre, maître queux oriental, furet latiniste, voyant, topographe solitaire, étrusque picard, souffleur perplexe et… momie.
Erik Bullot peint un portrait sensible, fictif et onirique, des bouillonnements et autres alchimies de ce mirifique [grand-père], de l’intensité de cette vie dans une évocation drôle et grave. Tombeau pour un excentrique, dans sa vivacité, dans la plasticité de sa prose, ses torsions sémantiques et syntaxiques, séduit […] On peut jauger un livre à la dose de vie qu’il suscite, à l’intensité qu’il parvient à lui restituer. À ce titre, c’est une admirable réussite.
Une langue débordante de vitesse et de tendresse : les phrases se bousculent, s’entrecoupent, mêlent l’oralité aux expressions les plus soutenues. Ça va vite dans ce livre qui convoque les souvenirs cul par-dessus tête. Tellement vite que de cette friction où l’on passe sans cesse du présent au passé l’illusion de la vie renaît […] Ce récit fourmille d’inventions et de trouvailles, il parvient l’exploit d’être résolument du côté de la vie pour dire la mort. Et s’achève de façon magistrale.